Les Régulateurs Et Les Effets de la Pandémie et le Plan D'action de L'oicv Pour 2021-2022
Thursday, Dec 02, 2021

Les Régulateurs Et Les Effets de la Pandémie et le Plan D'action de L'oicv Pour 2021-2022

Dans ce Podcast, le président de la FSMA de Belgique ainsi que le vice-président de l’Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV), Monsieur Jean-Paul Servais discutera des effets de la pandémie sur les régulateurs ainsi que sur les sujets sur lesquels ils devront se concentrer. Il sera également question du plan d’action 2021-22 de l’OICV et particulièrement de la position et les récents travaux de l’Organisation concernant la question du climat.  

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Jean Lorrain: Okay. Alors bonjour à tous et bienvenue à ce nouveau podcast du Toronto Centre. Mon nom est Jean Lorrain et je suis le président du conseil consultatif sur les valeurs mobilières au sein du Toronto Centre. Nous sommes en compagnie de monsieur Jean-Paul Servais, le président de l’Autorité belge des Services et Marchés financiers, connue sous son acronyme FSMA. Il est également vice-président de l’Organisation internationale des commissions de valeur, également connue sous l’acronyme OICV. Président du IFRS Monitoring Board, co-président du Monitoring Group et président du Comité régional européen de l’OICV. Il est par ailleurs membre du conseil de l’ESRB ou Conseil de résolution unique européen et de l’Autorité européenne des marchés financiers, bien connue sous son acronyme anglais, ESMA. Il enseigne de plus à l’Université Libre de Bruxelles. Il est l’auteur de nombreuses contributions, en particulier dans le domaine pertinent pour les activités de la FSMA. Cher monsieur Servais, je tiens à vous remercier d’avoir accepté notre invitation pour nous parler de la situation des régulateurs financiers dans le contexte actuel de pandémie, du nouveau plan d’affaires de l’OICV et, bien entendu, sur les principaux champs d’intérêt de cette dernière. Alors bienvenue, monsieur Servais.

Jean-Paul: Merci. Bonjour à toutes et à tous et ravi de pouvoir être en contact avec nos amis canadiens québécois, c’est un réel plaisir.

Jean Lorrain: Et nos amis à l’international que nous desservons également. Jean-Paul: Tout à fait.

Jean-Paul: Et bien merci monsieur Lorrain pour toutes ces questions extrêmement utiles. Je dirais qu’il y a trois caractéristiques à mes réflexions au bout d’un an de gestion de crise comme régulateur. Pour utiliser des expressions bien connues en anglais, quelles sont les lessons to be learned ? Deux, ce qui m'apparaît clairement aussi, une autre expression : the world is a village ; le monde est un village. Troisième aspect, pas de back to the future, du nom d’un célèbre film des années 80, si je peux dire. La première : les leçons à tirer. Personnellement, cette crise nous a forcés à être encore plus agiles que d’habitude. Je dis plus agile que d’habitude parce qu’il ne faut pas croire, et je suis certain que grâce aux initiatives prises par le Toronto Centre et Jean Lorrain notamment afin d’avoir une large communauté internationale à l’écoute de ce très beau podcast, j’ai entendu d’autres podcasts de collègues ou de Mark Carney, je trouvais ça vraiment fort utile et très bien fait et je tiens à vous féliciter. Il ne faut pas croire que le monde des régulateurs est un monde immobile. Ce sont des institutions qui, souvent, évoluent très rapidement, d’abord un, parce que nous sommes au contact de la vie quotidienne, de la vie des marchés mais aussi de ce qui se vit au niveau national. Donc si les entreprises privées, des acteurs de marché que nous contrôlons fusionnent, dé-fusionnent, intègrent d’autres groupes, nous devons aussi être capables d’avoir toute l’agilité nécessaire. Cette crise de la pandémie, je l’ai vécue aussi fortement en intérieur. Bien entendu, la première priorité c’est la santé de tout un chacun, la prévention contre, la lutte contre la pandémie.

Pour la petite histoire, le premier jour d’action, c’est en fait le jour où je suis arrivé à la dernière réunion du conseil du board de l’OICV-IOSCO, fin février 2020. Et donc venant de Belgique, qui était à l’époque peu impacté par le Covid, j’ai été impressionné, d’abord, par toutes les mesures que j’ai vues, prises de température, gel hydro alcoolique, des tas d’appareils divers pour assurer la sécurité. À l'époque, je serrais encore la main de certains collègues. Et certains, après m’avoir serré la main, ont couru pour aller se frotter les mains avec du gel hydro alcoolique.

J’ai dit : « wait a minute, I come from Belgium ». Il me dit « oui, it is just a reflex ». Et là j’ai compris que les choses étaient sérieuses dans d’autres pays ; à l’époque, c’était surtout les pays asiatiques. Au moment même où j’ai vu ça, j’ai pris les mesures pour que dès mon retour, tout le monde passe en teleworking. C’est la leçon principale que je tire en termes d’organisation interne de la FSMA ; ce genre de crise constitue un accélérateur de réformes. Nous avions déjà un excellent système IT avec certaines capacités de teleworking, même si je dois avouer que je n’étais pas un franc partisan du télétravail. J’étais même plutôt contre, j’étais connu comme cela à l’intérieur. Et donc j’ai demandé que dès que je revienne, que je prenne l’avion, ce qui est quand même plus long pour aller de Madrid à Toronto que de Madrid à Bruxelles, que l’on passe au télétravail intégral. Nous avons pu le faire et nous en avons tiré des leçons très puissantes. J’ai pu constater la qualité de nos équipements IT puisque du jour au lendemain, nous sommes passés à un système entièrement tourné vers le télétravail. C’est un système assez étonnant en termes de philosophie de management, parce que c’est un système extrêmement décentralisé mais qui va aussi de pair avec une très grande responsabilisation. Puisque contrairement à ce que l’on pourrait croire intuitivement, ce n’est pas chacun qui fait ce qu’il veut de son côté. Ici, si on ne fait pas les choses correctement, la victime c’est son collègue de bureau parce que c’est évidemment le collègue, l’ami éventuellement, qui va devoir suppléer la personne défaillante. Deux, j’ai vu une très grande solidarité dans la gestion des efforts. Et aussi voir que ça nous a, je dirais en quelques jours, fait faire de grands bonds. Tout le monde fonctionnait encore avec les célèbres conférences téléphoniques. Personne n’utilisait cela. En quelques jours, tout le monde s’est mis au célèbre système de vidéoconférence.

Finalement pour nous, en un an de temps, les vidéoconférences sont devenues la norme. Mais iI n’y a quand même pas plus d’un an que c’est le cas. Et ça marche. Et ça marche même mieux que parfois dans des réunions physiques. Exemple : la possibilité pour des réunions techniques d’échanger, comme on dit maintenant, par écran interposés des documents complexes, est quelque chose qui est peut-être même parfois plus facile à gérer que dans des réunions physiques avec vingt personnes autour de la table qui essaient de s’y retrouver dans des spreadsheets sur papier en format A3, etc. Cela ne marche pas pour tout, soyons clairs. Nous sommes, je dirais des contrôleurs, quand nous sommes impliqués dans des actions d’enforcement, bien entendu, ayant égard aux droits de la défense quand il s’agit d’entretien qui peuvent être difficiles à gérer, comme on sait dans l’enforcement, là bien entendu il faut faire cela sur place. Ce qui est aussi extrêmement important, et c’est pour cela que c’était ma deuxième caractéristique de cette crise, sous l’angle du mode de fonctionnement des superviseurs, c’est : the world is a village.

Ce qui m’a frappé c’est que finalement nos préoccupations étaient celles que l’on retrouvait en Amérique du Nord, en Amérique du Sud, en Asie, en Afrique, dans d’autres continents. Alors bien entendu on a l’habitude de travailler que ce soit via l’OICV, dont j’ai le plaisir d’être vice-président au niveau régional européen. Mais ce qui m’a frappé, c’est que cela se ressent encore plus. Le fait de pouvoir utiliser les mêmes moyens techniques implique quand même un certain nombre de choses qui rassemblent fondamentalement les superviseurs. Et aussi, notre capacité… La meilleure expression que je connais pour cela, monsieur Lorrain, c’est plutôt en anglais qu’en français, c’est l’outreach, notre capacité de communiquer.. Cela change la donne quand même fondamentalement, cela nous donne la force, nous donne la possibilité parce que pour moi c’est un enrichissement, d’avoir beaucoup plus de contacts avec d’autres cultures et aussi des personnes qui ne sont pas nécessairement dans le même fuseau horaire. Franchement ma vie a changé fondamentalement.

Comme on a l’habitude de dire, c’est quoi, et ça c’est aussi un des enseignements et j’en arrive à la troisième et dernière caractéristique de cette crise. Fondamentalement, notre avenir va être clairement différent de ce que nous avons vécu avant. Comme on a l’habitude de dire : « c’est quoi un monde post-Covid ? ». C’est moins de déplacement, plus de réunions. Et plus de réunions virtuelles, je peux vous le dire, c’est ancré dans ma vie. Je suis aussi, tout président d’une institution de contrôle que je suis, même si c’est un petit pays comme la Belgique, je suis aussi définitivement convaincu du teleworking. Cela m’a permis de gérer autrement, par exemple quand je fais du teleworking je groupe un certain nombre de réunions internationales que je peux gérer de chez moi en termes informatiques. Je me déplace à mon bureau pour un certain nombre de réunions que la loi m’oblige à faire physiquement ou bien d’autres réunions, donc j’ai une approche beaucoup plus fine de la gestion de mon agenda et j’ai même découvert que parfois le teleworking était surtout synonyme de journées plus longues. Ce que je ne croyais pas avant et j’étais même très sceptique.

Et puis dernière chose toujours sous cet angle des leçons à tirer, je crois qu’il n’y a pas de place pour un retour en arrière. Et je dis très clairement à tous mes collègues, toutes mes collaboratrices-collaborateurs qui sont tous grosso modo en télétravail en Belgique, mais je suppose que ça doit être la même chose dans pas mal de juridictions. Un retour est envisagé, pas comme avant mais en tout cas avec un mode plus souple qui n’arrive pas à constater des interdits en termes de présence sur place, est fixé en septembre 2022. On ne va pas faire comme avant et donc par exemple, cela veut dire qu’en septembre nous aurons trois jours sur place et deux jours obligatoires de télétravail, service par service ». Puisque la leçon aussi c’est de se dire ça marche très bien quand tout est en digital. Et ça marche très bien quand tout est en présentiel. Par contre des interactions entre une partie de l’équipe qui est sur place et une partie qui est par écrans interposés, ça, ça demeure dans l’état actuel des technologies, un peu lourd et pas nécessairement efficace.

Mais j’ai très clairement dit à tout le monde : « on ne va pas refaire comme avant ». La manière de former nos gens va être aussi importante. Nous avons par exemple accueilli trente nouveaux collègues depuis un an, ce qui est quand même le rythme habituel pour une institution qui compte 400 personnes avec un turnover qui est assez limité. Cela veut dire que trente collègues n’ont toujours pas vu, ni leurs bureaux, ni la grande majorité de leurs collègues au bout d’un an. Je ne dis pas que c’est facile pour eux en termes d’intégration, ce n’est pas le système le plus inclusif, mais je constate que ces gens travaillent très bien. Donc il y a une foule de leçons à tirer et je vois cela de manière résolue et optimiste, tourné vers l’avenir.

Jean Lorrain: Mais peut être une précision parce que pour nous régulateurs et superviseurs on doit se rendre souvent sur place pour voir comment les intermédiaires de marché fonctionnent, s’ils se conforment à nos exigences, si leurs pratiques sont adéquates. Nous avons besoin d’énormément d’informations pour être capables d’exercer notre mandat. Est-ce que vous voyez ces formes de supervision se perpétuer ou est-ce qu’il va y avoir des changements drastiques suite à la pandémie, du fait de la nouvelle pratique qui s’est instaurée ?

Jean-Paul: C’est une excellente question, monsieur Lorrain, parce que ça faisait aussi partie de mes questionnements et de mon scepticisme et en fait très rapidement, nous nous sommes aperçus que nous parvenions à faire nos inspections sur place de manière virtuelle, de manière extrêmement efficace. En Belgique, nous sommes une autorité de contrôle qui agit dans un système Twin Peaks et nous sommes spécialisés notamment dans tout ce qui concerne la protection du consommateur, le contrôle des produits, le contrôle de la Bourse et tout ce que l’on appelle aussi le contrôle des règles de conduite MiFID comme on dit en volapük européen. Mais c’est-à-dire tout ce qui est qualité du dialogue, de la documentation servant à établir un dialogue équitable entre un banquier, un assureur-vie et un client. Donc nous avons besoin d’avoir accès à la documentation, toute la qualité, le contrôle interne. Et j’ai à peu près une équipe de 40 professionnels sur place, qui disposent tous de diplômes universitaires et très rapidement ces personnes ont commencé à contrôler en télétravail. Pour faire un petit peu dans la caricature, le problème principal que l’on a eu, c’était que les banques puissent nous envoyer tous leurs fichiers, toute leur documentation sans être bloquées par le système de lutte et de prévention contre des attaques en cyber. Puisque parfois leurs dossiers étaient bloqués par leurs propres systèmes de sécurité. On a résolu la question, je vous rassure, mais très vite je me suis aperçu que dans nos métiers on parvenait à contrôler de manière très efficace. Ça a été, pas une surprise, mais en tout cas la constatation d’un projet qui n’était peut-être pas attendu en termes rapides. Donc nos inspections ont continué au même rythme. Bien sûr, il y a toujours un certain nombre de dialogues quand on doit challenger l’information qui se fait sur place.

Et deuxième chose tout à fait frappante c’est que nous n’avons jamais autant produit d’études qui portaient sur l’extraction de données du marché. Nous sommes un régulateur de marché, donc nous étions en première ligne pour tout ce qui concerne les fonds, tout ce qui concerne l’asset management. Tout de suite, nous avons pu challenger la qualité de l’information donnée sur l’état de la liquidité ou des problèmes éventuels rencontrés par des fonds. En Belgique nous n’avons eu aucune suspension des milliers de compartiments de fonds qui sont distribués en Belgique, nous avons tout fait pour. Nous avons vraiment été très durs avec les acteurs de marché. J’ai constaté qu’au niveau international, l’OICV a gagné ses lettres de noblesse par rapport au Financial Stability board, par rapport au FSB, en étant capable de coordonner l’action de supervision énergique de ses membres dans tous les continents. La même chose pour ESMA au niveau européen.

Donc il y a eu une réflexion très [unintelligible 22:19] et ceci a été de pair avec le fait qu’on a décidé il y a quelques années d’engager un certain nombre de docteurs qui disposent de doctorats en économie, en droit, en mathématiques avec une spécialisation en data mining. Ça a porté ses fruits. Je suis fasciné de voir ce qui arrive sur la table du comité de direction. On a une force de frappe que l’on n’avait pas avant. Et le monde a changé que ce soit au niveau belge, au niveau européen. C’est un peu là où on attendait au tournant le monde des régulateurs de marché. Surtout du côté des banquiers centraux, des autorités de contrôle prudentiel qui ont cette tradition d’avoir beaucoup de bases de données. Franchement on s’est mis à niveau et je m’en réjouis. Aussi le fait de pouvoir gérer beaucoup de choses à distance est quelque chose qui nous fait basculer dans un nouveau monde et je m’en réjouis.

Jean Lorrain: Et est-ce que vous voyez ce phénomène se traduire également, pour la Belgique il semble plus évident d’y arriver compte tenu du bassin que vous possédez en termes de technologies, en termes de savoir. Est-ce que vous voyez ce phénomène-là s’étendre un peu à travers la communauté internationale ?

Jean-Paul: Alors bon, il ne serait pas exact ou trop optimiste de dire que tout se fait à la même vitesse. Il y a des particularités régionales. Mais en tout cas moi j’ai plus de facilités de dialogue avec tous les continents qu’avant. On a peine à se rappeler qu’il y a un an et demi, c’était encore le bon vieux téléphone fixe sur lequel on faisait d’interminables conférences téléphoniques où un des challenges était de reconnaître la voix de la personne qui parlait. Ce n’était quand même pas loin de cela. Ici je constate quand même que l’on peut démarrer des réunions très facilement, je n’ai personnellement eu pas beaucoup de problèmes techniques quel que soit l’opérateur et on permet d’avoir un dialogue beaucoup plus fin. Je ne dirais pas que l’on en vient à déjà reconnaître le body language, comme on peut dire maintenant en français, de toute le monde, quoique dans certaines réunions ça commence à apparaître. En tout cas ce qui me fascine c’est que j’ai beaucoup plus de contact avec d’autres continents.

Jean Lorrain: Mais brièvement le travail du superviseur, du régulateur qui doit normalement, ou qui se rendait normalement sur place, vous vous êtes adapté en Belgique, vous voyez la même chose se produire à l’extérieur ? Brièvement.

Jean-Paul: Oui, cela m’a aussi étonné. Par exemple pour les commissaires aux comptes, les experts comptables donc en dehors du monde de la supervision, c’est les mêmes constats. Moi j’ai cru qu’il y allait y avoir de gros problèmes de contrôle des comptes de beaucoup de sociétés cotées. Après avoir fait un tour de la question je constate que les clôtures de comptes se sont aussi relativement bien passées avec peu de problèmes. Bien sûr quand il faut faire un stock take, analyser la qualité de l’information, ça il y a toujours évidemment une emprise physique mais pour le reste, les travaux d’audit se sont déroulés quasiment normalement. C’est aussi un aspect quasiment révolutionnaire dans ces métiers.

Jean Lorrain: Je ne peux m’empêcher de saisir l’occasion d’avoir le vice-président de l’OICV ici présent pour nous parler un peu du plan de travail que vous avez adopté pour 2021-2022. Et particulièrement sur la question des principes qu’on appelle en anglais de sustainability, je ne me souviens plus du terme français mais je pense que tous connaissent le terme…

Jean-Paul: Finance durable !

Jean Lorrain: Voilà, merci. Merci cher collègue. Donc, qu’en est-il exactement parce qu’historiquement on a reproché un peu à l’OICV sa lenteur à s’intéresser aux questions du climat et à tous les autres enjeux de finance durable. Qu’est-ce qu’il y a dans ce plan de travail de deux ans qui permettrait de voir des changements importants se produire ?

Jean-Paul: D’abord un, il y a un plan de travail, ça c’est déjà une bonne chose.

L’OICV n’avait pas cette tradition jusqu’à quelques années d’avoir un plan de travail. C’était plutôt le cas à Bâle avec la célèbre tour de la Banque des règlements internationaux qui abrite le FSB, le Comité de Bâle et l’IAIS. On a importé cette méthode qui permet d’assurer une prévisibilité dans l’action des autorités de contrôle, qui permet aussi de voir comment la communauté mondiale internationale des autorités de contrôle envisage des risques, des faiblesses, des opportunités en termes de développement de marché. C’est important en termes d’outils de communication. De vendabilité au sens noble du terme de l’action de l’OICV. Deux, il y a une grande place qui est faite pour tout ce qui concerne effectivement la sustainable finance, la finance durable. Et là il y a aussi un facteur d’accélération. Il y a évidemment un momentum politique. Il y a, je m’excuse de commencer par l’Europe, mais il se fait que je travaille en Europe. Il y a d’abord un consensus réel entre 27 États membres mais je crois aussi que si la Grande Bretagne était restée dans l’Union Européenne il y aurait eu un consensus à 28 puisqu’on connaît aussi les agendas ambitieux de la banque de la Grande Bretagne avec tout le travail effectué par Mark Carney quand il était gouverneur de la Banque centrale d’Angleterre. Il y a un vrai consensus. Et comme... Vous savez pour reprendre l’expression du président Chirac : « pourtant l’Europe n’est pas un long chemin parsemé de pétales de roses ». Il y a beaucoup de débats, forcément à 27 c’est plus difficile qu’à quatre ou à cinq. Mais là il y a vraiment un consensus entre États membres, entre Parlements européens, entre Conseils des ministres, entre Commission européenne qui sont les trois co-législateurs. C’est assez remarquable et il y a un framework ; un cadre réglementaire qui est extrêmement développé.

Je crois même pouvoir dire ; en tout cas c’est ce que beaucoup d’observateurs neutres indépendants se plaisent à dire au niveau mondial et surtout en dehors de l’Union Européenne, que c’est sans doute le cadre transfrontalier le plus complet à l’heure actuelle. Deux, du côté asiatique, et dans de nombreux pays dont le Canada, il y a aussi des objectifs ambitieux. Il y a aussi un changement d’administration aux États-Unis avec l’administration Biden, c’est clair qu’il y a une accélération donc il y a un momentum. Ça c’est bien sous l’angle politique, mais le tout est de savoir comment faire. Et là effectivement il ne fallait pas s’y prendre de manière inadéquate.

Personnellement, j’ai eu pas mal de statements que j’ai effectués. Quand on a commencé à parler de ce sustainable finance il y a quatre ans, j’ai toujours dit dans mes interventions au board de l’IOSCO que je croyais que l’institution qui devait être en première ligne c’est l’IASB qui produit les fameuses normes comptables européennes qui sont utilisées par des centaines de milliers de sociétés cotés. Et donc, mon objectif, mon implication a toujours été de voir comment articuler la relation entre l’IOSCO et l’IASB. Il se fait que j’ai le plaisir et l’honneur d’être président d’un monitoring board donc j’ai un dialogue quasiment quotidien avec l’IASB pour faire avancer les choses. Et l’IASB est passé à la vitesse supérieure avec la décision de lancer un board qui est à peu près un copy and paste de l’IASB pour lancer des normes adéquates en matière d’information des sociétés sur tout ce qui concerne la finance durable. C’est un résultat assez remarquable qui a d’ailleurs été reconnu dans un message qui a été publié à la fin mars 2021 par le FSB qui encourage et soutient l’IASB suite au soutien accordé à son niveau par l’IOSCO. Donc a un peu une chaîne de commandement : IASB, IOSCO, FSB, qui est assez remarquable qui s’inspire un peu de ce qui a été fait pour les normes comptables internationales il y a 20 ans, quand le déclic en termes d’internationalisation des normes comptables s’est fait après un endorsement ; après que l’IOSCO ait soutenu le développement des normes comptables.

Cela ne veut pas dire que, et même si je n’aime pas cette expression, cela ne veut pas dire que tout sera simple comme on dit d’habitude the devil is in the details : il faut faire attention aux détails. Il faudra éviter toute compétition entre les agendas. Je crois qu’il faut se rappeler à cet égard que l’agenda finance durable, c’est un agenda qui est poussé par les investisseurs, pas uniquement les investisseurs institutionnels mais monsieur et madame tout le monde. Et ce que veulent tous ces investisseurs ce n’est pas une myriade de frameworks, de labels, il y en a déjà assez. Ils veulent avoir un ensemble cohérent et ça c’est le défi. Notamment voir comment concilier des agendas au niveau mondial et au niveau européen. Exemple : l’Europe, comme européen mais aussi comme vice-président de l’IOSCO je dis il n’y a pas de place pour concurrence.

Cela ne veut pas dire que tout le monde doit avancer à la même approche. J’aimais beaucoup les Legos, dans mon enfance. Je trouve que les Legos peuvent être utiles dans cette construction, c’est ce qu’on peut appeler l’approche building blocks. Il faut avoir un système, et je crois que l’on s’y engage résolument, dans lequel il y a un corps de règles communes mais que cela ne doit pas brider un certain nombre d’initiatives, que ce soit au niveau national ou au niveau régional, d’aller plus loin. Exemple, tout l’aspect social, human rights. On sait qu’il y a des approches qui peuvent être quelque peu différentes selon les juridictions mais partons d’un coeur ; du moteur principal qui est tout ce qui est environnemental. N’essayons pas de brimer les meilleurs élèves. Il faut quand même aussi souligner qu’il y a un certain nombre de juridictions qui ont pris de l’avance sur d’autres. On n’est pas dans la même optique qu’il y a 20 ans ou le développement des normes IFRS s’était fait un peu sur un constat d’échec ; de reconnaissance mutuelle ou d’équivalence d’un certain nombre de normes comptables entre continents. Il faut avoir une approche adéquate sous l’angle politique mais je suis très heureux de voir, mais c’est aussi une partie de mon job au quotidien, que ce soit comme président du monitoring board mais aussi comme co-président du monitoring group qui s’occupe du contrôle des firmes d’audit. Là aussi je dirais que le rôle des commissaires au compte, des réviseurs, des auditeurs externes est fondamental parce que, ça c’est le dernier point sur lequel je voudrais insister. Selon moi, il y a un enthousiasme très clair, je vois par exemple en Belgique. En quelques années, plus de 50 pourcents de l’actif net des fonds est devenu coloré à la sauce, ou en tout cas est devenu coloré, aux exigences ESG sustainable finance. C’est assez remarquable mais attention à ce que l’on appelle le greenwashing, le verdissement trop commercial. Parce qu’ici on parle fondamentalement de confiance et si on est trop laxiste ou trop souple dans le niveau des exigences pour savoir ce qui est ESG, comme plan ou pas, on risque d’avoir un retour de manivelle. Quand la confiance part on dit qu’elle parle au galop de cheval et qu’elle revient à pas d’homme.

Et donc c’est exactement ça qu’il faut éviter donc il y a aussi un agenda un peu négatif qui est de dire : prendre toutes les initiatives pour soutenir cet enjeu de société qui est d’évoluer vers un environnement financier plus respectueux des objectifs de finance durable mais aussi un environnement négatif : éviter qu’il y ait des fraudes ou des comportements trop laxistes dans le cadre de l’octroi de labels parce que ça, ce serait contre productif voire même contre productif avec un effet de levier très important.

Jean Lorrain: Monsieur Servais je vous remercie infiniment pour ces informations, ces positions que prennent l’OICV sont intéressantes. On a l’espoir, bien entendu, que les choses arrivent rapidement mais bien entendu tout consensus prend du temps à être bâti et donc on doit être patients, c’est ce que je comprends de votre discours.

Jean-Paul: Faire des compromis à la belge comme on dit avec les imperfections du genre, comme en Belgique d’ailleurs !

Jean Lorrain: Monsieur Servais, je tiens à vous remercier une fois de plus d’avoir accepté notre invitation. Jean-Paul : Mon plaisir.

Jean Lorrain: Et de nous avoir si généreusement fait part de vos prises de position, de votre perception des choses et surtout de votre vision pour l’avenir des régulateurs financiers. Alors encore une fois monsieur Servais, merci.

Jean-Paul: Merci.

Jean Lorrain: Okay, Claire. Yes.

Jean-Paul: But I just received 10 minutes, no ?